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CAUSERIES DU LUNDI.

plus faux ni plus juste. Soyons hommes avant toute chose, et sachons ce que valent les hommes. Vous savez bien, ô Poëte, aujourd’hui à demi dégoûté, mais non encore revenu du rôle, vous savez bien, et vous l’avez dit, qu’il y a dans le monde plus de fous que de méchants ; mais il y a beaucoup de fous, vous le savez aussi : ne faisons donc pas d’une classe, si nombreuse qu’elle soit, l’origine et la souche de toutes les vertus.

Croirait-on que dans une chanson sur les Rossignols, dont le refrain est : « Doux Rossignols, chantez pour moi, » le poëte ait pu dire :

Vous qui redoutez l’esclavage,
Ah ! refusez vos tendres airs
A ces nobles qui, d’âge en âge,
Pour en donner portent des fers.


Ainsi, parce qu’on est né noble, on sera exclu et privé du chant du rossignol ! C’est ainsi encore que, dans les Adieux à la Campagne, qui ont un accent si vrai de mélancohe, le rossignol est pris pour un emblème politique :

Sur ma prison vienne au moins Philomèle !
Jadis un roi causa tous ses malheurs.


Il faut connaître sa mythologie pour comprendre cela ; il faut se rappeler qu’autrefois, en Thrace, un scélérat de roi appelé Térée fit un mauvais parti à la pauvre Philomèle. De Térée à Louis XVIII ou à Charles X, il n’y a que la main, comme on sait. C’est là un côté petit des Chansons de Béranger, et que l’avenir même, fût-il le plus démocratique du monde, ne relèvera pas.

D’autres côtés grandiront et survivront : ce sont ceux qu’a touchés le souffle pur et frais de la poésie. Les Bohémiens sont une de ces ballades ou fantaisies philoso-