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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/33

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BARNAVE.

l’absence du toute déclamation, par la sincérité des aveux et le noble regret des fautes commises, par les sages vues d’avenir qui se mêlent au jugement du présent, font beaucoup d’honneur à Barnave, et ne peuvent que confirmer, en l’épurant, l’impression d’intérêt et d’estime qui demeure attachée à sa mémoire. Je ne vois pas qu’on ait fait assez d’attention à ces volumes dans le moment où ils parurent, et c’est une omission à réparer.

Barnave avait vingt-sept ans au moment où il fut élu membre des États-Généraux, et il est mort à trente-deux ans. Dès les premiers jours, il se fit remarquer dans l’Assemblée par la clarté et la netteté de son esprit et de sa parole, et il prit rang avec faveur. Une phrase malheureuse qui lui échappa, et sur laquelle nous reviendrons, le fit plus homme de parti qu’il n’aurait fallu. Il gagna vite en autorité malgré sa jeunesse, et grandit dans les discussions ; il compta dans toutes les délibérations importantes. Une fois ou deux il parut embarrasser Mirabeau, et il eut l’honneur de le tenir en échec. Son principal talent était dans l’argumentation ; il intervenait volontiers sur la fin d’un débat et avait l’art de l’éclaircir, de le résumer. Mme de Staël a remarqué qu’il était plus fait par son talent qu’aucun autre député, pour être orateur à la manière des Anglais, c’est-à-dire un orateur de raisonnement et de discussion. Le nerf, la vigueur, de nobles sentiments non joués, le préservaient de l’inconvénient que ses ennemis auraient pu lui reprocher, que Mme Roland lui reproche, et qui eût été un peu de froideur. Il y eut dans l’Assemblée constituante des orateurs plus puissants, plus impétueux, plus tonnants, et qui donnaient plus l’idée de la grande éloquence ; il n’en est peut-être aucun qui eût plus que lui « la facilité de discuter, de lier des idées, de parler sur