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CAUSERIES DU LUNDI.

duire sous Louis XIV. Moins âgé de vingt-quatre ans que La Bruyère et de dix-sept ans que Fénelon, de six ans plus âgé que Saint-Simon, il appartient à cette génération d’écrivains qui étaient faits pour honorer l’époque suivante, et dont les débuts consolèrent le grand règne au déclin. Ses plus exacts biographes le font naître en 1668, dans la presqu’île de Rhuys, en basse Bretagne, non loin de Saint-Gildas, où Abailard lut abbé. Du fond de cette province énergique et rude, d’où nous sont venus de grands écrivains, des novateurs plus ou moins révolutionnaires, les La Mennais, les Broussais, et un autre René, Alain-René Le Sage nous arriva, mûr, fin, enjoué, guéri de tout à l’avance, et le moins opiniâtre des esprits : on ne trouverait quelque chose du coin breton en lui que dans sa fierté d’âme et son indépendance de caractère. Comment et par quelles épreuves, par quelles traverses arriva-t-il de bonne heure à cette connaissance de la vie, à cette entière et parfaite maturité à laquelle l’avait destiné la nature ? On ne sait de sa vie que bien peu d’événements. Il fit ses études au Collège de Vannes, où il trouva, dit-on, un maître excellent. Il perdit sa mère à neuf ans, son père à quatorze ; ce père était notaire et greffier comme celui de Boileau. Il eut pour tuteur un oncle négligent. Venu à Paris à vingt-deux ans pour y faire son Cours de philosophie et de droit, il y mena la vie de jeune homme et y eut sans doute quelques unes de ces aventures de bachelier qu’il a si bien racontées et diversifiées depuis. On s’accorde à dire qu’il était d’une physionomie agréable, d’une taille avantageuse, et qu’il avait été fort bel homme dans sa jeunesse. On parle d’une première liaison galante qu’il aurait eue avec une femme de qualité. Dans tous les cas, cette vie purement mondaine de Le Sage fut courte, puisqu’on le trouve à vingt-six ans épousant la fille d’un