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LE SAGE.

bourgeois de Paris, qui n’en avait elle-même que vingt-deux. À partir de ce temps, il mène la vie de ménage et de labeur, une existence assujettie ; et c’est de la rue du Cœur-Volant, faubourg Saint-Germain, et ensuite de la rue Montmartre où il demeure, ou de quelque autre logis obscur, que vont sortir ces écrits charmants qui semblent le miroir du monde[1].

Pourtant il paraît qu’aussitôt après son mariage il essaya de vivre d’un emploi régulier, et qu’il l’ut quelque temps dans la finance en province, commis chez quelque fermier général : il n’y resta que peu et en rapporta l’horreur et le mépris des traitants, qu’il a depuis stigmatisés en toute rencontre. Le caractère habituel de la satire de Le Sage est d’être enjouée, légère, et piquante sans amertume ; mais, toutes les fois qu’il s’agit des traitants, des Turcarets, il aiguise le trait et l’enfonce sans pitié, comme s’il avait à exercer quelques représailles. Je fais la même remarque en ce qui touche les comédiens, dont il avait eu souvent à se plaindre. Ce sont les deux seules classes auxquelles le satirique aimable se prenne avec tant de vivacité et s’acharne presque, lui dont la raillerie, en général, se tempère de bonne humeur et de bonhomie.

Devenu homme de Lettres, Le Sage rencontra un protecteur et un conseiller utile dans l’abbé de Lyonne, l’un des fils de l’habile ministre. L’abbé de Lyonne connaissait la langue et la littérature espagnoles, et il y introduisit Le Sage. Celui-ci sut l’espagnol à une époque où l’on commençait à ne plus le savoir en France, et il y puisa d’autant plus librement comme à une mine encore riche qui redevenait ignorée. Faisons-nous une idée juste

  1. En dernier lieu, et pendant un grand nombre d’années, Le Sage habita une petite maison au haut du faubourg Saint-Jacques. (Voyez la note à la fin de l’article. )