Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/375

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
365
LE SAGE.

lard qui, au contraire, affecte d’être vieux et s’en vante, et met sa vanité à le paraître, autant que l’autre affecte de paraître jeune. L’un fait le Nestor, l’autre le Céladon ; ce sont deux formes du même amour-propre inhérent à tous les hommes. Après des scènes très-gaies entre le vieillard fat et sa maîtresse qui le trompe, scènes qui ont pour contre-partie dans l’antichambre les entretiens de Gil Blas aux prises avec la soubrette surannée de la dame, Gil Blas, certain qu’on trompe son maître, prend sur lui de l’en avertir. Le vieux fat touché l’en remercie, et retourne chez sa maîtresse pour rompre. Mais, par un dénoûment tout à fait naturel et comique, ce bonhomme amoureux qui se tient pour bien averti par Gil Blas, et qui lui en sait gré jusqu’à un certain point, se rengage avec sa maîtresse au lieu de rompre. Il s’en revient, un peu honteux de sa faiblesse, et signifie doucement à Gil Blas qu’il le renvoie, tout en le remerciant encore à demi. Voilà qui est un exemple très-net de cette satire si vraie et si gaie, sans rancune. Le maître qui renvoie Gil Blas ne lui en veut pas ; il compatit au tort qu’il lui fait, et lui ménage même une bonne condition ; et Gil Blas renvoyé ne maudit pas le vieillard ; il nous le montre tel qu’il est avec sa passion sénile, amoureux, ridicule, mais bonhomme encore, et tâchant de concilier un reste de justice avec sa faiblesse. Il y a du Térence dans cette raillerie-là.

Les scènes de comédie sont sans nombre chez Gil Blas, et elles ne laissent pas trop le temps de s’apercevoir de ce que peuvent avoir de commun ou d’ennuyeux certains épisodes, certaines nouvelles sentimentales que l’auteur a insérées çà et là pour grossir ses volumes, et qu’il a imitées on ne sait d’où. Les deux premiers volumes de l’ouvrage, après avoir fait passer sous les yeux toutes sortes de classes et de conditions, voleurs, chanoines.