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M. DE BROGLIE.

dans cette discussion mémorable, M. de Broglie y laisse à son tour des traces lumineuses. Il fait sentir jusqu’à l’évidence qu’il est des choses qu’on ne refait ni à la main ni après coup ; qu’on ne change point les habitudes et les mœurs d’une nation à l’aide de trois ou quatre articles de loi. Au milieu de toutes les parties sérieuses et élevées de ce discours, je remarque un exemple d’une des qualités et des formes de l’esprit de M. de Broglie, la raillerie et l’ironie. Le rapporteur de la loi (le marquis de Maleville) s’était avisé de dire, pour l’appuyer, qu’en empêchant le partage égal entre les enfants, cette loi allait forcer les déshérités à s’évertuer, à devenir actifs, intelligents, industrieux ; il avait cité l’exemple de l’Angleterre. M. de Broglie relève la naïveté de l’argument qui est tout en l’honneur des cadets : « Cet argument, dit-il, appartient en propre à M. le Rapporteur, il est juste d’en prévenir ; car, même dans une discussion sur le droit d’aînesse, Dieu nous garde de ne pas laisser à chacun ce qui lui revient ! » Et abordant le raisonnement même : « Merveilleuse réflexion ! fait-il observer. À ce compte, comme on ne saurait avoir trop de gens actifs et intelligents, pourquoi ne pas dépouiller aussi les aînés ? Au demeurant, l’argument n’est pas absolument nouveau. Le célèbre Johnson l’employait d’ordinaire dans le siècle dernier, et il le rédigeait comme il suit : La loi de primogéniture, disait-il, a cela de bon, que du moins elle ne fait qu’un sot par famille. » — Mais nous trouverions surtout de ces exemples d’ironie prolongée et prenant l’accent d’un haut dédain, dans les discours prononcés par M. de Broglie quand il fut au pouvoir après 1830, et surtout dans les luttes de 1835.

À part toutefois ces quelques circonstances où il s’est passionné, le genre d’éloquence particulier à M. de Bro-