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BARNAVE.

ques liaisons avec la Cour, et qu’il donna plus ou moins directement des conseils. Le récit de Mme Campan, bien qu’inexact sur plusieurs points, et trahissant dans son ensemble une légère teinte romanesque qui sied peu à Barnave, ne semble point permettre de doute là-dessus. Dans les ouvrages de Barnave que nous avons sous les yeux, et qui ont été écrits durant sa captivité, on ne saurait s’étonner de ne voir aucune mention ni trace de ces relations secrètes, desquelles le simple soupçon allait suffire pour causer sa perte. On demeure pourtant dans un réel embarras lorsqu’on entend Barnave, dans la Défense qu’il prononça devant le Tribunal révolutionnaire, s’exprimer en ces termes : « J’atteste, sur ma tête, que jamais, absolument jamais, je n’ai eu avec le Château la plus légère correspondance ; que jamais, absolument jamais, je n’ai mis les pieds au Château. » Voilà qui est formel. Une telle déclaration, placée en regard du récit de Mme Campan, ne laisse pas d’embarrasser, je le répète, et de jeter dans une vraie perplexité ; car on se refuse à admettre que Barnave ait parlé simplement ici comme un avocat qui se croit en droit de nier tout ce qui n’est pas prouvé. Mais tout en s’y refusant par respect pour son caractère moral, on ne sait quelle autre explication trouver. Il est à regretter que M. Bérenger, dans l’estimable et intéressante Notice qu’il a placée en tête des présents volumes, n’ait point abordé et discuté ce point délicat pour le fixer avec précision ; c’est là une lacune fâcheuse dans un travail qui pourrait autrement passer pour définitif. S’il n’y avait, de la bouche de Barnave, cette dénégation précise qui gêne, on n’aurait d’ailleurs aucune raison pour devoir dissimuler ce qui, après tout, eût été honorable et avouable. Barnave n’était pas et ne se donna jamais pour républicain : c’était un royaliste constitutionnel qui, même en secret, ne dut jamais sug-