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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/484

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CAUSERIES DU LUNDI.

de douleur et de honte d’avoir été renvoyé des rangs de la Garde nationale et rayé des contrôles comme coupable de faire rire. Car M. Bazin, pour le remarquer en passant, ne perd aucune occasion de railler notre Garde nationale. Le bourgeois aristocratique et sybarite qu’il est, se révolte contre l’institution citoyenne. Il se retrouve homme des Lettres sur ce point : entre deux ridicules, selon lui, et deux inconvénients, il choisit le moindre, et, pour le coup, il dirait volontiers comme cet autre de ma connaissance : « J’ai, pour un homme de Lettres, le malheur d’appartenir à une nation qui n’est jamais plus fière que quand elle a un pompon sur la tête, et qu’elle obéit au mot d’ordre d’un caporal. »

Son bourgeois de Paris nous est présenté par lui comme ayant éprouvé aux affaires du mois de juin (1832) un double accident : « il a gagné une extinction de voix et la croix d’honneur, deux malheurs dans la vie d’un homme raisonnable, qui craint également la médecine et le ridicule. » Cela est bien contourné et maniéré. Plus tard, l’auteur se trouva sujet lui-même à ce ridicule qu’il craignait. Un ministre de ses amis l’obligea de recevoir la croix d’honneur, et le persuada même de la lui demander selon l’usage. Le malin pris au piège écrivit une lettre qu’il fit la plus épigrammatique qu’il pût, et qui se terminait à peu près par ces mots : « Cela dit, mon cher ami, j’accepterai un petit morceau de ce ruban dont vous avez une aune. » C’est encore là une de ces petites contradictions auxquelles il attachait tant d’importance, et qu’avec tout son esprit il ne sut point éviter.

Nous nous acheminons lentement vers l’historien. M. Bazin avait quarante ans quand il aspira publiquement à ce titre sérieux, dont il avait compris toute la