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M. BAZIN.

tout en le citant, de ne pas nommer, à son exemple. Ce critique a dit :


« M. Bazin est un homme de beaucoup d’esprit et qui se pique de n’avoir rien, en écrivant, de l’érudit de profession et du pédant. Je me permettrai seulement de demander si dans cette abstinence absolue de toute citation et de toute note en un genre d’ouvrage qui les réclame naturellement, si dans cette suppression exacte de tout nom propre moderne, là même où l’auteur y songe le plus et y fait allusion, si dans cette attention tout épigrammatique à ne laisser sans rectification aucune des petites erreurs d’autrui, il n’y a pas une autre sorte de pédantisme. L’honnête homme est celui qui ne se pique de rien, a dit La Rochefoucauld ; M. Bazin se pique trop d’être honnête homme. Quand on fait un métier, il faut franchement en être : c’est à la fois plus simple, plus commode et de meilleur goût. »


Je résumerai le défaut littéraire de la manière historique de M. Bazin par un mot : il suit sa ligne, il vise au vrai, il fait de son mieux, mais il ne daigne pas se mettre assez à la place du lecteur ordinaire ; son procédé envers lui n’est pas obligeant, ni prévenant.

Malgré ces défauts que je ne cherche pas à dissimuler, et quoiqu’elle reste assez difficile à lire dans toute sa continuité pour les esprits qui ne sont pas très-sérieux et attentifs, l’Histoire de M. Bazin est une composition rare, originale, offrant, non pas comme d’autres prétendues histoires, une marqueterie brillante et spirituelle, moyennant des lambeaux de citations relevées de quelques scènes dramatiques, mais un récit médité, réfléchi, tout à fait neuf, dans lequel il est tenu compte de chaque témoignage, et où l’historien a constamment le fil en main pour donner à tout la liaison la plus vraisemblable, l’accord le plus exact et l’enchaînement le plus conforme à la vérité. Dans le tableau du ministère de Mazarin, M. Bazin s’est attaché à contredire et, comme on dirait vulgairement, à démolir le plus qu’il