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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/50

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CAUSERIES DU LUNDI.

regard au delà de l’horizon intérieur, il aborde, par exemple, les questions de relations étrangères. Mais en ce qui est de la France, de la connaissance des partis, du jeu des divers éléments, de leur qualité et de leur force relative, il est juge excellent. Ce qu’il dit du parti modéré, du parti constitutionnel d’alors, de cette majorité saine de la nation, de cette bourgeoisie dont il était l’honneur et qu’il connaissait si bien, est digne de remarque :


« Le parti modéré, qui, soit par le nombre, soit par la composition, pourrait être regardé comme la nation même, est presque nul pour l’influence ; il se jette, à la vérité, pour faire poids, du côté qui cherche à ralentir le mouvement, mais à peine ose-t-il expliquer publiquement son vœu. Lorsque les événements qu’il a redoutés le plus sont consommés, il y souscrit, il abandonne ses anciens chefs et ses anciens principes, et cherche seulement, dans la nouvelle marche, à former encore l’arrière-garde et à retarder la marche de la colonne révolutionnaire, à la suite de laquelle il se traîne à contre-cœur.

« Ce parti a toujours lâchement abandonné ses chefs, tandis que le parti aristocratique ou populaire a toujours vaillamment soutenu les siens. Tout ce qu’on peut en attendre, en général, ce sont des vœux secrets et quelques applaudissements lorsqu’on a vaincu pour lui. Un faible appui dans le succès, nulles ressources dans la défaite, aucun espoir de vengeance.

« Dans cette Révolution, il n’y a jamais eu de l’énergie, de l’ensemble et du talent que pour l’attaque… »


Décidément, Barnave est un général qui connaissait bien son armée. Il ne connaissait pas moins bien ses adversaires. Après le 10 août, posant nettement le parallèle entre les auteurs de la première révolution et ceux de la seconde, il termine par cette question : « Les premiers ont voulu rétablissement d’une monarchie libre et limitée : qu’ont voulu les autres ? » C’est l’histoire des Girondins de tous les temps.

Barnave fut transféré des prisons du Dauphiné à Paris,