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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/541

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M. DE MALESHERBES

et trop atroces pour que je dusse souffrir d’y être impliqué nommément ; je prends donc la liberté de vous porter mes plaintes du commentaire que Fréron a fait à mon sujet, et de vous en demander justice. »


Là-dessus, M. de Malesherbes, avec une patience exemplaire et en vrai juge de paix de la littérature, faisait avertir Fréron, et on lui demandait sur quoi il se croyait fondé pour attaquer si violemment l’Encyclopédie et si personnellement l’un des auteurs. Fréron répondait cette fois avec toute sorte d’esprit et de justesse (27 janvier) :


« Monsieur,

« Il m’est impossible de vous envoyer la note des articles encyclopédiques où je suis directement ou indirectement attaqué. Je n’ai jamais lu toute l’Encyclopédie ni ne la lirai jamais, à moins que je ne commette quelque grand crime et que je ne sois condamné au supplice de la lire. D’ailleurs, ces Messieurs me font venir à propos de botte dans les articles les plus indifférents, et où je ne soupçonnerais jamais qu’il fût question de moi. On m’a dit qu’à l’article Cependant, par exemple, il y avait deux traits, l’un contre Dieu, l’autre contre moi. Mais l’article où ils se sont le plus déchaînés sur mon compte, c’est l’article Critique ; il y en a mille autres que je ne me rappelle pas, et mille autres que je n’ai pas lus. »


Fréron aurait en tout ceci un trop beau rôle, si je n’ajoutais que, vers la fin de sa lettre, son amour-propre prenait le dessus et s’exaltait jusqu’à dire :


« Je crois que je m’y connais un peu, Monsieur ; je sais ce qu’ils valent, et je sens ce que je vaux. Qu’ils écrivent contre moi tant qu’ils voudront ; je suis bien sûr qu’avec un seul trait je ferai plus de tort à leur petite existence littéraire qu’ils ne pourront me nuire avec des pages entières de l’Encyclopédie. »


Des deux côtés, il y a un moment où la folie commence. Malgré tout, Fréron était dans son droit ; et, à