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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/551

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CHATEAUBRIAND.

Il rentra en France en 1800, et la vérité est qu’il se rallia très-franchement et très-entièrement au Consulat. La préface de la première édition du Génie du Christianisme se termine par une citation (supprimée depuis) où Bonaparte est comparé à Cyrus. Le nouveau Cyrus a dit au prince des prêtres :


« Jéhovah, le Dieu du ciel, m’a livré les royaumes de la terre, et il m’a commis pour relever son temple. Allez, montez sur la montagne sainte de Jérusalem, rebâtissez le temple de Jéhovah. » — « À cet ordre du libérateur, continue Chateaubriand, tous les Juifs, et jusqu’au moindre d’entre eux, doivent rassembler des matériaux pour hâter la reconstruction de l’édifice. Obscur Israélite, j’apporte aujourd’hui mon grain de sable. »


C’est ainsi qu’à l’âge de trente-trois ans s’exprimait le brillant écrivain qui allait inaugurer le siècle.

Dès lors une velléité d’ambition politique le saisit ; il entra dans les affaires, il alla à Rome sous le cardinal Fesch. Mais le dirai-je ? même avant sa démission donnée, il était déjà découragé et dégoûté au début. Toutes ses lettres écrites à cette date le prouvent. Il ne cherchait qu’une porte pour sortir : la mort du duc d’Enghien lui en offrait une, belle et magnifique, une sortie éclatante, comme il les aimait ; il n’y résista pas, et, le lendemain de cette démission, il se trouva, on peut l’affirmer, bien autrement royaliste qu’il ne l’avait jamais été jusque-là.

Était-ce le royaliste, en effet, qui avait donné sa démission lors de la mort du duc d’Enghien ? Non, c’était le poëte, l’homme de premier mouvement, l’homme ennuyé des premiers dégoûts et des lenteurs inévitables de la carrière, le jeune homme encore enivré de la poésie des déserts, qui la voulait aller ressaisir sous d’autres cieux, et qui n’avait point tiré de lui toutes les œuvres grandioses auxquelles il demandait la gloire. Ces dégoûts, ces désirs vagues, ces espérances romanesques,