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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/70

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CAUSERIES DU LUNDI.

et littéraire d’un Romain éclairé et honnête homme, sous Trajan, à la belle époque finissante de l’Empire. Jamais le sentiment littéraire proprement dit, la passion des belles études et de l’honneur qu’elles procurent, jamais l’amour de l’honnête louange, le culte de la gloire et de la postérité, n’a été poussé plus loin et plus heureusement cultivé que chez Pline le Jeune. Il confesse ses goûts et son ambition décente avec une candeur et une ingénuité qui désarment, et je m’étonne que Montaigne l’ait pu taxer si rigoureusement de vanité. Pour moi, les Lettres de Pline, quoique recueillies, composées et refaites à loisir, comme a fait depuis Balzac, comme on nous dit que Courier, de nos jours, recomposait les siennes, restent une lecture d’une douceur infinie et d’un grand charme. Les après-midi d’été à la campagne, si vous voulez vous redonner un léger goût, une saveur d’antiquité, si vous n’êtes trop tourmenté ni par les passions, ni par les souvenirs, ni par la verve (car je vous suppose un peu auteur vous-même, tout le monde l’est aujourd’hui), prenez Pline, ouvrez au hasard et lisez. Il est peu de sujets de la vie, et surtout de ceux qui tiennent à l’habitude des choses de l’esprit, sur lesquels il ne nous offre quelque pensée ingénieuse, brillante et polie, une de ces expressions qui reluisent comme une pierre gravée antique, ou comme les blancs cailloux qu’il se plaît à nous montrer en nous décrivant les belles eaux de ses fontaines. Pline est du petit nombre des Romains qui ont ce que Sacy appelle les mœurs, c’est à-dire qui ont de la pudeur, de la modestie, de la décence. Avec plus de vivacité d’esprit et de relief, c’est le Dagnesseau du déclin de l’antiquité. On ne sait pas avec précision à quel âge il mourut, mais on se le figure ayant toujours gardé quelque chose de jeune, de riant, de rougissant et de pur, un de ces visages qui sont tout