Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, III, 3e éd.djvu/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

créée telle, comme si c’était là désormais une des fonctions essentielles de la civilisation et de la vie : Mme de Genlis aurait certainement inventé l’écritoire, si l’invention n’avait pas eu lieu auparavant. Mais, en étant femme-auteur comme tant d’autres et plus que toute autre, elle eut sa manière de l’être, qui la caractérise. Agréable et brillante dans sa jeunesse, elle ne se bornait pas à un seul goût, à un seul talent ; elle les briguait tous et en possédait réellement quelques-uns. Tous ces goûts, tous ces talents divers, tous ces arts d’agrément, tous ces métiers (car elle n’omettait pas même les métiers), faisaient d’elle une Encyclopédie vivante qui se piquait d’être la rivale et l’antagoniste de l’autre Encyclopédie ; mais ce qui donnait l’âme et le mouvement à cette multitude d’emplois, c’était une vocation qui les embrassait, les ordonnait et les appliquait dans un certain sens déterminé. Mme de Genlis était quelque chose de plus encore qu’une femme-auteur, elle était une femme enseignante ; elle était née avec le signe au front. Le bon Dieu a dit aux uns : Chante ; aux autres : Prêche. À elle, il lui avait dit : « Professe et enseigne. » Jamais le mot de l’Apôtre ne reçut un démenti plus formel : « Docere autem mulieri non permitto. — Je ne permets point à la femme d’enseigner, » disait saint Paul à Timothée. Mme de Genlis n’était point libre d’obéir à ce précepte quand elle l’aurait voulu, tant sa vocation de bonne heure fut puissante et irrésistible. Elle manifesta dès l’enfance l’instinct et l’enthousiasme de la pédagogie, à prendre ce mot dans le meilleur sens. Il lui avait été ordonné, en naissant, d’être le plus gracieux et le plus galant des pédagogues.

On en a la preuve en parcourant ses volumineux Mémoires, dans lesquels, en voulant dissimuler sans doute et atténuer bien des choses, elle en a montré beaucoup