Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, VII, 1853.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

aux journaux qu’il a laissés qu’on doit d’en connaître les plus curieuses circonstances : il est à regretter que d’autres contemporains ne nous aient rien dit de plus particulier sur son compte, et n’aient pas joint leurs renseignements aux siens.

Kegnard était de Paris, du vrai Paris. Il naquit sous les piliers des Halles, d’un père bon bourgeois, riche marchand de salines. M. Beffara, cet honorable commissaire de police, qui, dans sa retraite, et par un reste d’habitude investigatrice utilement appliquée à l’histoire littéraire, se mit à la piste des naissances illustres, a fixé avec beaucoup de probabilité la naissance de Regnard au 7 février 1655. Il serait piquant que Regnard fût né sous les piliers des Halles, tout à côté de Molière, de même que Voltaire naquit tout voisin de Boileau, dans la Cour du Palais ; mais le même M. Beffara croit avoir prouvé que les parents de Molière demeuraient rue Saint-Honoré, et non sous les piliers des Halles, comme on le disait communément. Dans tous les cas, Regnard vint au monde non loin de Molière, et il était bien du même quartier.

On ne sait rien de son enfance et de ses premières études, sinon qu’avant l’âge de douze ans il faisait des vers. Il fut élevé avec distinction et en gentilhomme ; il finissait ses exercices à l’Académie quand il perdit son père, et il se trouva maitre d’une partie de sa fortune. Il fit le voyage d’Italie, On a le récit de ses aventures tant soit peu masquées et romancées dans une petite Nouvelle intitulée la Provençale. Il s’y met en scène sous le nom de Zelmis, et ne s’y montre pas à son désavantage : « Zelmis, comme vous savez. Mesdames, est-il dit dans le récit, est un cavalier qui plaît d’abord : c’est assez de le voir une fois pour le remarquer, et sa bonne mine est si avantageuse qu’il ne faut pas chercher avec soin des endroits dans sa personne pour le trouer aimable ; il faut seulement se défendre de le trop aimer. » Ce Zelmis a rencontré à Bologne, dans une fête, une belle Provençale, une Arlésienne, mariée à un sieur de Prado, et qui, dans le roman, s’appelle Elvire. Elle voit Zelmis, et, dès le premier instant, elle est touchée pour lui, comme lui pour elle : « Elle disait les choses avec un accent si tendre et un air si aisé, qu’il semblait toujours qu’elle demandât le cœur, quelque indifférente chose qu’elle put dire ; cela acheva de