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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, VII, 1853.djvu/13

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perdre le cavalier. » Cette jolie phrase : Il semblait toujours qu’elle demandât le cœur, est prise textuellement d’un petit libelle romanesque du temps sur les Amours de Madame et du comte de Guiche. Rep ; nard, quand il écrivait cette Nouvelle sentimentale, n’était pas encore tout à fait lui-même.

A Rome, Zelmis retrouve Elvire, mais toujours en compagnie de son jaloux et fâcheux mari. Il la quitte, et au moment où il se croit pour longtemps séparé d’elle, il la retrouve encore, par le plus heureux hasard, sur le vaisseau qui le porto de Gènes à Marseille. Ici, à moins d’être averti qu'il sagit d’une histoire vraie, on croirait être en pure fiction, comme du temps de Théagène et Charidée ; c’est la vie qui imite le roman à s’y méprendre. Un pirate survient en pleine mer et attaque le vaisseau. Zelmis se couvre de gloire dans la défense ; mais le corsaire naturellement l’emporte, et voilà les deux amants et le mari emmenés prisonniers par le Turc. C’est à Alger qu’on les transporte : la belle Elvire, donnée comme esclave au roi du pays, est respectée par lui et traitée mieux qu’à la française. Zelmis lui-même n’est pas trop maltraité par un certain Achmet, à qui il est vendu. Celui qui devait si heureusement ressembler à Plante commençait par être esclave comme lui. On regrette en cet endroit que Regnard n’ait pas fait comme pour ses autres voyages, qu’il n’ait pas donné un récit tout nu et sans ombre d’art : ce serait aujourd’hui plus intéressant pour nous. Il paraît bien que, dans les premiers temps, son patron algérien l’employa tout simplement à ramer, mais qu’ensuite, ayant su que Regnard qui, dès cette époque sentimentale, avait déjà des dispositions pour la gastronomie, faisait très-bien les ragoûts, il l’employa dans sa cuisine. Au lieu de cela, dans le roman, Regnard est présenté comme peintre (ce qui est infiniment plus noble), et comme jouissant, à la faveur de cet art, de quelque liberté. Bref, sans entrer dans les détails du récit qui, d’ailleurs, ne manque pas de grâce et de délicatesse, Regnard et la belle Elvire sont délivrés ; le mari qu’on croit mort est plus qu’oublié. On arrive à Arles dans la famille de la dame, et les deux amants sont prêts à y célébrer leurs noces, quand tout à coup celui qui passait pour mort depuis plus de huit mois, délivré très-mal à propos de captivité par des religieux, tombe des nues comme un revenant et un trouble-fête. Regnard, déses-