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M. RIGAULT.

Terrasson, il est impossible d’être plus attentif et équitable, plus agréablement instructif, et il ne néglige pas non plus les moindres, les seconds et troisièmes rôles, les Bouhours, les de Callières, etc. Seulement, vers la fin, il a commis une légère injustice, et je viens en appeler à lui-même. II y a un tout petit personnage secondaire qu’il n’a pas apprécié à sa valeur, ni étudié avec le soin qu’il a donné à tous les autres. Voici en quels termes il en parle et sur quel ton :

« Parmi les adversaires déclarés de madame Dacier et des Anciens, il faut distinguer les élèves de La Motte, contempteurs de l’Antiquité qu’ils ne comprenaient pas, et les esprits philosophiques qui la combattaient par système, avec une foi réfléchie au progrès. Un des personnages qui, au dix-huitième siècle, représente assez bien la première de ces deux classes, c’est-à-dire le public des salons et des cafés, c’est le spirituel et sémillant abbé de Pons, surnommé de son temps le bossu de M. de La Motte. De Pons est le type du disciple et du caudataire. Il admirait La Motte, il vantait La Moite, il exagérait pieusement les idées de La Motte, il suivait La Motte comme son ombre. Chaque matin il l’accompagnait au café Procope (ce n’était pas au café Procope), où ils discutaient avec des amis communi devant une galerie attirée par le nom et l’esprit des causeurs. Le café Procope a entendu lancer bien des brocards contre Homère. Quand le petit abbé de Pons élevait sa voix pointue, et dardait contre les adhérents de madame Dacier son mot favori, le parti des Érudits, il avait l’air de monter au Capitole…

« Ce qui achève de peindre l’abbé de Pons et le public demi-lettré qu’il représente, c’est qu’il se donnait un air de philosophe et faisait sonner bien haut les grands mots d’indépendance et d’émancipation de l’esprit humain. À l’entendre, Homère n’est qu’une vieille idole, que La Motte a jetée bas de son piédestal, comme Descartes a renversé l’autel d’Aristote ; les Homéristes sont taillés en pièces, comme autrefois les Péripatéticiens de collège, et le genre humain est sauvé. Ainsi dogmatisait le triomphant bossu de M. de La Motte ; ainsi chantait en chœur avec lui ce public léger qui effleurait tout, jugeait tout, défaisait la gloire d Homère en feuilletant une gazette, et tranchait sur l’Iliade aussi lestement que sur un opéra. »

Je demande à plaider à mon tour ; je demande à présenter sous un jour un peu plus favorable ce petit personnage, très-spirituel en effet, mais qui n’était pas si