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M. RIGAULT.

« Maintenant que nous sommes entre nous, dites-moi s’il est bien vrai, Messieurs, qu’Homère ait parlé des Myrmidons ? »

Madame Dacier, par sa traduction de l’Iliade, ayant fourni le moyen de la lire à ceux qui n’entendaient pas le grec [et c’était alors l’immense majorité, même des gens réputés instruits), La Motte s’en était servi à loisir pour mettre en ordre ses arguments et tirer ses conclusions. Il venait de publier son Imitation d’Homère en vers français, c’est-à-dire un Homère abrégé, corrigé et perfectionné à la mode des Parisiens raisonneurs de l’an 1714, Homère tel qu’il aurait dû être s’il avait eu l’honneur de vivre aux dernières années du règne de Louis-le-Grand. L’ouvrage, bien entendu, était dédié au roi, qui gratifia aussitôt l’auteur d’une pension. Une Préface spirituelle et polie, dans laquelle il était dit des choses très-vraisemblables et très-contraires aux opinions reçues, étonnait et flattait à la fois les gens du monde, et portait la stupéfaction parmi les doctes, que de telles impertinences, si doucement débitées, irritaient doublement et suffoquaient de colère.

Il y eut un moment d’hésitation et d’attente durant lequel grossissait et s’amoncelait, avant d’éclater, cette indignation des savants. L’abbé de Pons fut le premier à rompre la glace et à entraîner les mondains timides qui n’étaient pas encore sûrs d’avoir un avis. Il publia, dans les premiers mois de 1714, une Lettre à M. *** sur l’Iliade de M. de La Motte. Il n’y mit pas son nom, mais il fut vite soupçonné d’en être l’auteur, et il se déclara aussitôt. Sous forme d’apologie, c’était un pamphlet très-vif, un manifeste de guerre :

« Vous exigez de moi, Monsieur, disait-il, un compte exact des divers jugements que les gens de lettres ont portés de la nouvelle Iliade ; je vais tâcher de vous satisfaire. Mais pourquoi me faites-vous mystère du jugement que vous en portez vous-même ? n’osez--