Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, XIII, 3e éd.djvu/78

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douter, surtout lorsque l’alliance déclarée avec l’Électeur de Bavière va exiger un grand effort pour la jonction, Villars est l’homme du roi à l’armée du Rhin, l’homme de la pensée de Versailles et en qui on a confiance pour l’exécuter ; Catinat n’est plus général en chef que de nom, jusqu’à ce que les convenances mêmes indiquent qu’il n’y peut honnêtement demeurer. Villars commande le détachement qui doit tout faire pour forcer les obstacles et se mettre en mesure de joindre l’Électeur : il s’agit d’abord de traverser le Rhin en présence de l’ennemi, puis de s’ouvrir malgré lui et à travers ses postes retranchés l’entrée des Montagnes Noires. L’Électeur, s’il était exact et fidèle au rendez-vous, devrait y tendre de son côté et n’en être pas loin. Il manqua à ce qu’on attendait de lui, cette fois, et d’autres encore ; mais Villars fit tout ce qu’il fallait et ce que Catinat estimait impossible, et en définitive il réussit.

Je me suis permis d’exposer ce détail qui laisse voir en une sorte de conflit deux noms célèbres, ou du moins j’ai voulu l’indiquer en renvoyant aux vraies sources, aux Mémoires de la Guerre de la Succession, pour qu’on ne dise pas en deux mots que Villars a miné et supplanté Catinat à l’armée du Rhin, tandis que réellement Catinat, quelque respect que l’on doive à son caractère, s’y mina lui-même par une inaction et une circonspection excessive qu’il n’avait sans doute pas toujours eue à ce degré, mais qui s’était accrue avec l’âge, au point de devenir elle-même un danger. « Il y a des temps où les Fabius sont de bon usage, et des temps où les Marcellus sont nécessaires. » Le mot est de M. Des Alleurs, un des amis de Villars, lequel l’accepte volontiers et s’en décore. Il n’est pas homme à se priver d’un compliment.

Après cela, à lire la suite de ses lettres au roi et à Chamillart, il est clair que Villars n’a cessé de se proposer lui-même : il sentait sa valeur et aspirait à son