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DE C.-A. SAINTE-BEUVE

d’Académie[1] ; excusez-moi de l’avoir ignoré, et de ne vous lire le plus habituellement qu’en recueil. En revanche, j’ai sur ma table vos Études de Littérature contemporaine où vos fortes et nettes qualités me sont sans cesse présentes. Vos paroles comptent, car vous ne les prodiguez pas et la pensée est toujours dessous. Il y a bien longtemps que nous ne vous avons vu à nos lundis[2]. Je vous aurais dit combien vos articles réunis me plaisent : votre Madame Roland est un travail complet qui entraîne la conviction de tout lecteur sensé. Le jour où vous voudriez sacrifier un peu à ce goût français que vous connaissez si bien, à notre besoin d’encadrement et de bordure, vous auriez le prix de toutes vos essentielles qualités. Vous savez autant que personne nos légers travers ; vous y souriez, mais vous n’y cédez pas. C’est vous qui avez de la vertu, de refuser ainsi à votre talent par d’adroites coupures tout le succès actuel et journalier qu’il pourrait avoir. Vous y arrivez, au reste, par le fond et par la raison. Votre article sur les Lettres de Marie-Antoinette est un fait auquel il va falloir répondre. Il n’y a plus à biaiser. Je sais qu’on en est ému.

Agréez, mon cher ami, avec mes remercîments pour une appréciation si fatteuse sous votre plume, l’expression de mes sentiments dévoués.

  1. Il s’agissait du rapport sur les prix de vertu, lu à l’Académie le 3 août 1865.
  2. Les lundis du dîner Magny, qui avait lieu tous les quinze jours.