Page:Sainte-Beuve - De la liberté de l’enseignement, 1868.djvu/11

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chercherons à la combattre, ainsi que toute la routine, partout où elle se trouvera. Nous voulons instituer une science expérimentale, exacte et rationnelle, basée sur les lois de la physiologie, telle qu’elle a été formulée par les Magendie, les Claude Bernard et les Longet… »

Et savez-vous ce qu’a dit ensuite M. Sée, et ce qui est devenu un des chefs de l’accusation ? Il a dit :

« Et comme exemple, messieurs (c’est lui qui parle), je vais vous donner la définition de la fièvre. Depuis Hippocrate jusqu’à nos jours, dans l’école vitaliste, on considérait volontiers la fièvre comme un bienfait des dieux, comme une réaction providentielle contre le principe morbifique. Cette doctrine a encore des partisans aujourd’hui… Pour nous, la médecine, les maladies et par conséquent la fièvre, ne sont point le fait d’une intervention occulte, elles sont tout simplement le résultat de l’exagération ou de la diminution de l’état physiologique. En effet, la fièvre a son type dans l’état normal, où sans cesse se font des combustions de l’organisme. Les combustions de nos tissus, de nos organes, sont la source de la chaleur et, par conséquent, d’après la grande loi de la transmutation des forces, la chaleur se trouve être indirectement le point de départ de tous les mouvements et de toutes les fonctions, soit du cœur, soit des artères, soit de la respiration. »

(Patience, messieurs, nous allons avoir fini de la citation ; mais il est nécessaire de tout entendre !)

« Dans l’état de fièvre, il se trouve simplement que les combustions sont exagérées par suite de l’introduction dans l’organisme d’un miasme ou d’un poison développé au dehors ou dans l’économie même. Or, comme la chaleur est la source du mouvement, il est naturel que le cœur et les artères battent avec plus de force que dans l’état normal. Voilà la fièvre… »

Eh bien, messieurs, c’est cette théorie de la fièvre qui est devenue l’un des points d’attaque contre le professeur. Trois mois environ après cette première leçon, une lettre de M. le ministre de l’intérieur fut adressée à M. le ministre de l’instruction publique pour lui signaler les faits en question. La calomnie, on le voit, avait mis du temps à cheminer et à suivre son détour. Là-dessus le professeur, mandé par-devant le vice-recteur de l’Académie de Paris, eut à se défendre et à se justifier sur deux points : 1o comme accusé de n’avoir pas fait observer la discipline à son cours ; 2o comme ayant donné une définition de la fièvre qui, apparemment, n’était pas orthodoxe (ceci devient d’un haut comique), ni conforme à ce qu’on doit enseigner dans une chaire. Y aurait-il donc une définition catholique ou hérétique de la fièvre ? Ah ! messieurs, prenons garde de revenir à des siècles en arrière, quand le Parlement rendait des arrêts contre l’antimoine ou contre l’émétique ! (Réclamations.)

Voix diverses. Cela n’est pas sérieux ! — C’est une plaisanterie !

M. Sainte-Beuve. Je vois, il est vrai, dans une lettre publiée depuis peu par le plus ardent des évêques adversaires, je vois que la doctrine de l’école de Montpellier est exceptée de l’anathème lancé contre l’école physiologique ; que dis-je ? cette doctrine (la doctrine ancienne et non actuelle de l’école de Montpellier) est exaltée, préconisée, par contraste avec les abjectes théories de la Faculté de Paris. Un évêque a là-dessus un avis formel : c’est son affaire ; mais, Sénat, gardez-vous de l’imiter et, sous peine de ridicule, n’allons pas décréter la doctrine vitaliste en médecine au préjudice de la méthode expérimentale.

Ne vous étonnez pas, messieurs, que la pétition et le rapport dont elle a été l’objet aient produit une sensation profonde. Une grande Faculté s’est sentie atteinte. Les paroles bienveillantes de M. le rapporteur, entremêlées qu’elles étaient d’une nuance de blâme et de regret, n’ont pas suffi à la susceptibilité bien juste de la science, qui se sentait remise en question et comme assise sur la sellette. Vous ne sauriez vous figurer, messieurs, l’inexprimable attente et la faveur équitable que ce réveil et ces symptômes d’intolérance qui éclatent de toutes parts ont valus dans l’école à ces mêmes savants professeurs mis en cause devant vous. Et il en sera toujours ainsi ; toujours il en arrivera de même à tout nouvel assaut de l’intolérance : elle a pour effet immanquable de créer