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DE JOSEPH DELORME

Ou frissonner au vent son beau pavillon d’or ;
Et quand tombe la nuit, morne, il regarde encor
La quille où s’épaissit une verdâtre écume,
Et la pointe du mât qui se perd dans la brume.


LE RENDEZ-VOUS

À mon ami Alfred de M… (MUSSET).


Séduite à mes serments, si la vierge innocente,
Après bien des combats, et de sa mère absente
Oubliant les leçons pour la première fois ;
Si la veuve, à la fin de son deuil de six mois,
Qui le matin encor, se mirant sous la moire,
A cru voir à vingt ans jaunir son front d’ivoire ;
Ou si la jeune épouse, aux bras du vieil époux,
M’a du doigt pour minuit marqué le rendez-vous ;
Si j’y cours avant l’heure et que déjà j’y voie
La persienne entr’ouverte et l’échelle de soie,
Et du haut du balcon tapissé de jasmin
Une main qui descend au-devant de ma main ;
Lorsqu’en mes bras ardents j’ai pris ma bien-aimée ;
Que, l’emportant au lit, blanche et demi-pâmée,
Après bien des fureurs, de longs efforts perdus,
Des baisers gémissants de moi seul entendus,
J’ai senti dans mon sein se cacher son visage,
Et que nos yeux mourants, pleins d’un vague présage,
Se confondent longtemps en un regard de miel,
Ou vont se rencontrer sur un même astre au ciel ;
Non, je ne me dis pas ; Demain ce regard tendre,
Ce son de voix si frais qu’on tressaille à l’entendre,