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DE JOSEPH DELORME


EN M’EN REVENANT UN SOIR D’ÉTÉ


vers neuf heures et demie.


Que faudrait-il, hélas ! pour que cette grande âme
Reprit goût à la vie et ranimât sa flamme ?
Jeune, comme il vieillit ! comme il se traîne seul !
À le voir si voûté, l’on dirait un aïeul !
Il se ride, il jaunit, il penche vers la tombe ;
Du front, chaque matin, une mèche lui tombe.
Sans doute, bien des coups, dès longtemps, l’ont blessé ;
Son destin finira, tel qu’il a commencé,
Dans l’ennui, dans les pleurs ; il connaît trop la vie,
Et combien tout est vain dans tout ce qu’on envie ;
Sans doute, il sait trop bien ce que valent de soins
La gloire, le bonheur, — fantômes ! — Mais, au moins,
Si quelque chose ici le consolait encore !
Car son génie ardent, chaque nuit, se dévore,
Comme la lampe, au soir, laissée en un caveau,
Sans qu’une vierge y verse un aliment nouveau.

Est-elle donc bien loin, la vierge, où donc est-elle,
Qui pourrait ranimer cette lampe immortelle ?…

Peut-être elle a passé, ce soir, tout près de lui,
Mais pour la lui montrer la lune n’a pas lui ;
Peut-être, lorsqu’au parc il prit la grande allée.
Elle était sur sa route, assise et non voilée ;
Mais, lui, marchait sans voir et le front soucieux,
Ou bien un éventail la cachait à ses yeux ;
Un regard eût tout fait ! — Peut-être c’était celle
Que je vis l’autre jour, au lac, sur la nacelle.