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DE JOSEPH DELORME


APRÈS UNE LECTURE D’ADOLPHE


Passé vingt ans, quand l’âme aux rêves échappée
S’aperçoit un matin qu’elle s’était trompée,
Et, rejetant l’espoir d’un jeune et frais amour,
Se dit avec effroi qu’il est trop tard d’un jour,
Oh ! pourquoi, quelque part, en l’une des soirées
Où j’aime tant, au son des valses adorées,
Au bruit des mots riants sortis des cœurs séduits,
M’asseoir et m’oublier et bercer mes ennuis,
Pourquoi ne pas enfin trouver une âme tendre,
Affligée elle-même et qui saurait m’entendre,
Deux yeux noirs d’où les pleurs auraient coulé longtemps,
Une brune, un peu pâle, ayant bientôt trente ans,
Ou veuve, ou presque veuve ; et qui, lasse du monde,
Heureuse d’accepter un cœur qui lui réponde,
Le veuille à soi, l’enlève ? — et tous les deux d’accord,
Dans sa terre, en Anjou, Touraine ou Périgord,
Nous irions nous aimer d’une amour longue et forte.
Ce serait un château, gothique ou non, qu’importe !
Mais de grands bois touffus tout autour du manoir,
Des charmilles, un parc, où bien avant, au soir,
On pourrait s’égarer au bord des eaux courantes,
Et se dire longtemps des paroles mourantes.
Et quel bonheur encore, au lever, le matin,
Quand ses cheveux, sentant la rosée et le thym,
Roulent en noirs anneaux autour d’un cou d’albâtre,
Moi près d’elle, à genoux, son esclave idolâtre,
De réciter tout haut, en mariant nos voix,
Les doux chants nés d’hier ou connus d’autrefois,