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DE JOSEPH DELORME.

je préfère ces défauts francs et de bonne nature aux qualités viciées des autres ! On n’est jamais sûr, en effet, d’un talent de faux goût. Ses beautés mêmes se ressentent de la maladie et la trahissent. Jusque sous la fraîcheur de ce teint fleuri, j’entrevois un sang pauvre, des tissus en dissolution et l’ulcère des écrouelles. Et si la comparaison semble d’assez mauvais goût aux connaisseurs, je suis certain du moins qu’elle n’est pas de faux goût, car j’établis encore une distinction entre le mauvais et le faux, et je n’hésite pas au besoin à préférer l’un à l’autre.


XII

Tel filet d’idée poétique qui, chez André Chénier, découlerait en élégie, ou chez Lamartine s’épancherait en méditation, et finirait par devenir fleuve ou lac, se congèle aussitôt chez moi, et se cristallise eu sonnet ; c’est un malheur, et je m’y résigne.

— Une idée dans un sonnet, c’est une goutte d’essence dans une larme de cristal.


XIII

Il y a dans la manière de madame Tastu une nuance d’animation si ménagée, une blanche pâleur si tendre et si vivante, une grâce modeste qui s’efface si pudiquement d’elle-même ; son vers est tellement pour sa pensée, comme le voile de Sophronie, sans trop la couvrir et sans trop la montrer,

Non copri sue bellezze e non l’espose,


que, dans ces questions techniques de rhythme pur, il ne s’est pas présenté à mon idée un seul de ses vers ravissants. De tels vers, nés du cœur, vivent tout entiers par lui, et sont insépa-