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POÉSIES


Hélas ! dans ces jardins, dont j’aime le mystère,
Que de jours écoulés, sereins ou nuageux !
À midi sur ce banc s’asseoit encor mon père ;
Mes filles ont foulé ces gazons dans leurs jeux.

Sous ces acacias, les pieds dans la rosée,
J’ai quelquefois, dès l’aube, égaré la beauté :
L’oiseau chantait à peine, et la fleur reposée
Assemblait un parfum chargé de volupté.

Après bien des détours dans l’ombre et sur la mousse,
L’aurore avec le jour amenait les adieux !
En me disant Demain, que sa voix était douce !
Que loin, en la quittant, je la suivais des yeux !

Puis je m’en revenais, solitaire et superbe,
Recevant le soleil et l’air par tous mes sens,
Cueillant le frais bouton, ramassant le brin d’herbe,
Et le cœur inondé d’harmonieux accents.

Voici toujours les lieux, les places trop connues,
Et l’ombre comme hier flottant dans ce chemin :
Vous toutes, seulement, qu’êtes-vous devenues ?
Et quelle autre, à mon bras, doit y marcher demain ?

Je n’ai point passé l’âge où l’on plaît, où l’on aime ;
Mes cheveux sont touffus et décorent mon front ;
Les regards de mes yeux ont un charme suprême,
Et, bien longtemps encor, les âmes s’y prendront.

Mais que pour cette fois ce soit une belle âme,
Tendre et douce à l’amour, et légère à guider,
Qui de jeunes baisers rafraîchisse ma flamme,
Me couvre de son aile et me sache garder ;