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POÉSIES


V

LE COTEAU


Pauca meo Gallo, sed quæ legat ipsa Lycoris.
Virgile.


Voilà deux ans, ici, c’était bien ce coteau,
Roide et nu par ses flancs, et dont le vert plateau
Étale un bois épais de hêtres et de frênes ;
Et là, soit que régnât l’astre des nuits sereines,
Soit qu’un soleil d’août embrasât les longs jours,
Je venais, et d’en haut je regardais le cours
Du ruisseau dans la plaine, et les moissons fécondes,
Et les pommiers sans nombre avec leurs touffes rondes,
Pareils aux cerisiers tout rouges de leurs fruits ;
Les fermes d’alentour dont j’aimais tant les bruits ;
Et les acacias qui fleurissent en grappes,
Et le gazon du parc aux verdoyantes nappes,
Et dans ce parc heureux, sur ce lit de gazon,
Assise doucement, cette blanche maison,
Surtout une fenêtre, aujourd’hui trop fermée,
Toujours ouverte alors, — et toi, ma bien-aimée !

Tu l’étais, tu m’aimais. — Hélas ! combien de fois,
Pour me venir trouver sous les frênes du bois,
De peur des yeux jaloux choisissant l’heure ardente
Où les champs sont déserts, où la meule pendante
Abrite les faucheurs sous son chaume attiédi,
Je te vis, gravissant la côte en plein midi !
Moi, par l’autre sentier arrivé dès l’aurore,
J’attendais, j’épiais. Je la crois voir encore