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DE JOSEPH DELORME.

Torrents franchis, galop lancé dans les ravines,
Vos gazons plus mouvants que les plages marines,
Et dont le vert manteau dans un seul de ses plis
Noya prince et cortége ensemble ensevelis[1].
Vous errez, vous régnez ; sur ces herbes perfides
L’infini vous attire à des chasses rapides ;
Votre écharpe éperdue, aux endroits du danger,
Prête au coursier son aile et le fait plus léger.
Le passant n’ose croire, et de loin il vous jure
Un beau jeune homme en blanc, à longue chevelure.
Où cela mène-t-il ? et quel sera le prix ?
À la fin de vos jours vous serez Thomyris,
Reine, mais en Scythie, et sans ce qu’on adore.
Sur vos steppes là-haut quand l’hiver plane encore,
Quand vous livrez votre âme aux éclatants frimas,
Le printemps est ici, dont je ne jouis pas.
Je soupire, j’invoque un retour un peu tendre :
Viendra-t-il à la fin ? Vous aimiez à m’entendre,
Vous sembliez me le dire, et mieux que de la voix !
Rien ne nous rendra-t-il nos coins bleus d’autrefois ?

Oh ! revenue encore en la chambre amoureuse,
Diane désarmée et plus douce à l’espoir,
Prés du balcon fleuri d’où votre tubéreuse
Exhale un chaud soupir à la tiédeur du soir ;
Quand le petit parfum que votre robe envoie,
Reconnu dès le seuil, m’aura troublé de joie ;
Un jour qu’en me voyant vous aurez repentir ;
Que nous nous serons dit tout ce qu’on peut sentir ;
Que le passé, bien loin avec ses violences,
Ne sera qu’un écho mourant dans nos silences ;
Qu’Hippolyte et Cérinthe, à voix basse nommés,
Serviront de murmure à des noms plus aimés ;

  1. Tradition du lieu, dans le Limbourg