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DE JOSEPH DELORME.


VI

LES LETTRES BRÛLÉES


Oh ! ne les pleure point ces lettres inquiètes
Qu’il te faut, pauvre Amie, à tes heures secrètes
Dévorer en tremblant et vite anéantir ;
Ne désire jamais t’y plus appesantir ;
Ce qu’en mots égarés tour à tour je t’envoie
D’épanchement amer, de tristesse ou de joie,
Prends-le, — puis brûle, oublie ; et, si c’est un trésor,
Mon âme intarissable en peut donner encor.
L’arbre est là, fais un signe, et les fleurs trop heureuses
Sur chacun de tes jours vont pleuvoir plus nombreuses.
Vis donc, et laisse aux vents aller chaque débris.
— Et ces pages, vois-tu, qu’aiment tes yeux chéris,
Plutôt qu’un coin les cache à loisir conservées,
C’est mieux pour moi, c’est mieux, qu’aussitôt arrivées,
Tu les lises, émue, — en une heure cent fois, —
Humides de mes pleurs, brûlantes sous tes doigts ;
Que l’effet s’en imprime en images plus tendres ;
Que, tièdes de ton sein, elles volent en cendres ;
Et que dans ta mémoire, adorable tombeau,
Le sens, ainsi qu’une âme, échappant au flambeau,
Survive pur et flotte entouré d’auréoles,
Et retrouve par toi de plus fraîches paroles.
Au lieu d’un froid tiroir où dort le souvenir,
J’aime bien mieux ce cœur qui veut tout retenir,
Qui dans sa vigilance à lui seul se confie,
Recueille, en me lisant, des mots qu’il vivifie,