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POÉSIES


S’assemblent, et Nymphes et Fées,
Leurs tempes de joncs rattachées,
Et les Plaisirs pensifs, et les Ennuis rêveurs,
Tous au char ombreux qu’ils attellent,
Un pied dans la rosée, attendent et t’appellent
Comme des amants ou des sœurs.

Oh ! qu’alors la vaste bruyère
De sa scène sauvage et fière
Prolonge à mes regards l’horizon sourcilleux !
Que plus haute sur la vallée,
Plus sombre au front des bois, la tour, mieux dentelée,
Parle des morts et des aïeux !

Ou si l’orage et sa menace,
Si la pluie à torrents qui chasse,
M’arrêtent, malgré moi, loin des sentiers mouvants,
Qu’au moins abrité sous la grange
Qui domine la plaine, à cette horreur étrange,
Aux flots grossis, fouettés des vents,

Au déchirement des nuées,
Au son des cloches remuées,
Des cloches des hameaux au plus lointain du ciel,
À ces beautés je m’esjouisse[1]
Jusqu’à ce que, gagnant par degrés, s’épaississe
Un voile d’ombre universel !

Oui, tant qu’Avril qui recommence,
Doux Soir, épandra sa semence à
Et sa senteur en pluie à tes cheveux épars ;

  1. Éjouir ou plutôt esjouir, vieux mot que réjouir ne remplace pas.