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LES CONSOLATIONS.

Puis, par instants, lassés de leur secret tourment,
Exhalant en soupirs leur désenchantement,
Au bord d’une fontaine, au pied d’un sycomore,
Des jours entiers, assis, leur ennui les dévore ;
Le dégoût les irrite aux désirs malfaisants,
Et, pour dompter leur âme, ils soulèvent leurs sens.
Et bientôt les voilà, ces enfants du Portique,
Ces nobles orphelins de la sagesse antique,
Les voilà, ces amants du vrai, du bien, du beau,
Dormant dans la débauche ainsi qu’en un tombeau ;
Les voilà sans couronne, épars sous des platanes,
Dans le vin, pêle-mêle, aux bras des courtisanes,
Rêvant après la vie un éternel sommeil :
Quelle honte demain en face du soleil !
Ainsi leur vie allait folle et désespérée.
Mais un jour qu’en leur cœur la chasteté rentrée,
Plus humble, et rappelant les efforts commencés,
Les avait fait rougir des plaisirs insensés,
Qu’ils s’étaient repentis avec tristesse et larmes,
Résolus désormais de veiller sous les armes ;
Qu’à tout hasard au Ciel leur âme avait crié,
— Crié vers toi, Seigneur ! — et qu’ils avaient prié ;
Ce jour, ou quelque jour à celui-là semblable,
Quand le pauvre contrit, près des flots, sur le sable,
S’agitait à grands pas, ou, tâchant d’oublier,
Comptait dans un jardin les feuilles d’un figuier,
Tout d’un coup une voix, on ne sait d’où venue,
Que la vague apportait ou que jetait la nue,
Lui disait : Prends et lis ! et le livre entr’ouvert
Était là, comme on voit la colombe au désert ;
— Ou c’était un buisson qui prenait la parole ;
— Ou c’était un vieillard avec une auréole,
Qui d’un mot apaisait ces cœurs irrésolus,
Et qui disparaissait, et qu’on n’oubliait plus.