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LES CONSOLATIONS.

De l’amour ignorant les dons ou la rigueur,
Et qu’homme vous viviez dans l’enfance du cœur :
— Ami, — si vous avez, aux champs, à la vallée,
Fait choix, pour y cacher une vie isolée,
Pour y mieux réfléchir à l’homme, à l’âme, à Dieu,
D’un toit simple et conforme aux ombrages du lieu ;
Si, certain désormais de l’avoir pour demeure,
D’y consacrer au Ciel vos jours heure par heure,
Vous n’y voulez plus rien du monde et des combats
Où la chair nous égare, — Ami, n’en sortez pas.
Laissez ce monde vain s’agiter et bruire,
Ses rumeurs se choquer, gronder et se détruire ;
Sa gloire luire et fondre, et sa félicité
Se gonfler, puis tarir, comme un torrent, l’été.
Ne précipitez plus ce flot noir et rapide
À travers le cristal de votre lac limpide ;
Ne lancez plus vos chiens avec le sanglier
Dans la claire fontaine, amour du peuplier :
Mais restez, vivez seul ; et bientôt le silence,
Ou le bruit des rameaux que la brise balance,
La couleur de la feuille aux arbres différents,
Les reflets du matin dans les flots transparents,
Ou, plus près, le jardin devant votre fenêtre,
Votre chambre et ses murs, et moins encor peut-être,
Tout vous consolera ; tout, s’animant pour vous,
Vous tiendra sans parole un langage bien doux,
Comme un ami discret qui, la tête baissée,
Sans rien dire comprend et suit votre pensée.
La solitude est chère à qui jamais n’en sort ;
Elle a mille douceurs qui rendent calme et fort.
Oh ! j’ai rêvé toujours de vivre solitaire
En quelque obscur débris d’antique monastère,
D’avoir ma chambre sombre, et, sous d’épais barreaux,
Une fenêtre étroite et taillée à vitraux,