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LES CONSOLATIONS.

Il revient pas à pas sur cet amour sacré,
Est ce que j’ai de lui jusqu’ici préféré.
Plus j’y reviens et plus j’honore le poëte,
Qui, fixant, dès neuf ans, sa pensée inquiète,
Eut sa Dame, et l’aima sans lui rien demander ;
La suivit comme on suit l’astre qui doit guider,
S’en forma tout d’abord une idée éternelle ;
Et, quand la mort la prit dans le vent de son aile,
N’eut, pour se souvenir, qu’à regarder en lui :
Y revit l’ange pur qui si vite avait fui ;
L’invoqua désormais en ses moments extrêmes,
Dans la gloire et l’exil, et dans tous ses poëmes,
Et, vers le ciel enfin poussant un large essor,
D’Elle, au seuil étoilé, reçut le rameau d’or.
J’admire ce destin, et parfois je l’envie ;
Que n’ai-je eu de bonne heure un ange dans ma vie !
Que n’ai-je aussi réglé l’œuvre de chaque jour,
Chaque songe de nuit, sur un céleste amour !
On ne me verrait pas, sans but et sans pensée,
Tout droit, tous les matins, sortir, tête baissée ;
Rôder le long des murs où vingt fois j’ai heurté,
Traînant honteusement mon génie avorté.
Le génie est plus grand, aidé d’un cœur plus sage.
Je sais dans la Vita, je sais un beau passage
Qui, dès les premiers mots, me fait toujours pleurer,
Et qui certes démontre à qui peut l’ignorer
Combien miraculeux luit en une âme ardente
Un chaste feu d’amour. Je le traduis, — c’est Dante

 « En ce temps-là, dit-il, il me prit par malheur
Dans presque tout le corps une telle douleur,
Et durant plusieurs jours, que je gardai la chambre,
Puis le lit, et qu’enfin, brisé dans chaque membre
de restai sur le dos couché, matin et soir,