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LES CONSOLATIONS.


XXV

À MADEMOISELLE…


Alter ab undecimo tum me jam ceperat annus.
Virg.


J’arrive de bien loin et demain je repars.
J’admire d’un coup d’œil le fleuve, les remparts,
La haute cathédrale et sa flèche élancée ;
Mais rien ne me tient tant ici que la pensée
De ma jeune cousine, hélas ! et de savoir
Que je suis si près d’elle, et de n’oser la voir.
Autrefois je la vis ; c’était dans ma famille ;
Sa mère l’amena, toute petite fille,
Blonde et rose, et causeuse, et pleine de raison,
Chez sa grand’mère aveugle ; autour de la maison
Nous aimions à courir sur la verte pelouse ;
Elle avait bien quatre ans, moi j’en avais bien douze.
Alors mille douceurs charmaient nos entretiens ;
Ses blonds cheveux alors voltigeaient dans les miens,
Et les nombreux baisers de sa bouche naïve
M’allumaient à la joue une flamme plus vive.
Elle disait souvent que j’étais son mari,
Et mon cœur s’en troublait, bien que j’eusse souri.
Sur le-bord de la mer où sont les coquillages,
Aux bois où sont les fleurs au milieu des feuillages,
Je lui donnais la main, et nous allions devant,
Elle jasant toujours, et moi déjà rêvant :