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LES CONSOLATIONS.


La Liberté bientôt m’étala ses miracles ;
Le reste s’abaissa, je m’élançai plus haut ;
Et, repoussant du pied le présent plein d’obstacles,
J’allai tendre la main aux morts de l’échafaud.

Nobles morts ! cœurs à l’aise au milieu des tempêtes !
Poëte à l’archet d’or, Vierge au sanglant poignard[1],
Vous tous qui m’appeliez comme un frère à vos fêtes,
Que me demandiez-vous ? j’étais venu trop tard !

Ces éclats n’allaient plus à nos mornes journées ;
J’étouffais, je cherchais de larges horizons ;
Partout au fond de moi grondaient mes destinées…
Un soir, je vis un luth, et j’en tirai des sons ;

Et, comme aux saints accords d’une harpe bénie
S’apaisait de Saül le tourment insensé,
Ainsi mes sens émus rentraient en harmonie,
Et le démon de guerre et de sang fut chassé.

Depuis lors, plus heureux, bien que parfois je pleure,
Abandonnant mon âme à de secrets penchants,
Remis des passions, croyant la paix meilleure,
Je console mes jours en y mêlant des chants.

Si, dès les premiers pas, quelque faiblesse impure,
Quelque délire encor, m’a dans l’ombre entraîné,
Je ne m’en souviens plus, j’ai lavé la souillure ;
Mon seuil est désormais sans tache et couronné.

Faut-il m’en arracher ? et d’où ces cris sinistres,
Qui sortent tout à coup du pays ébranlé ?

  1. Charlotte Corday, — André Chénier.