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LES CONSOLATIONS

A pour longtemps noyé plus d’un secret ombrage,
Silencieux bosquets mal à propos rêvés,
Terrasses et balcons, tous les lieux réservés,
Tout ce Delta d’hier, ingénieux asile,
Qu’on devait à quinze ans d’une onde plus facile !

De retour à Paris après sept ans, je crois,
De soleils de Toscane ou d’ombre sous tes bois,
Comptant trop sur l’oubli, comme durant l’absence,
Tu retrouvais la gloire avec reconnaissance.
Ton merveilleux laurier sur chacun de tes pas
Étendait un rameau que tu n’espérais pas :
L’écho te renvoyait tes paroles aimées ;
Les moindres des chansons anciennement semées ;
Sur ta route en festons pendaient comme au hasard :
Les oiseaux par milliers, nés depuis ton départ,
Chantaient ton nom, un nom de tendresse et de flamme,
Et la vierge, en passant, le chantait dans son âme.
Non, jamais toit chéri, jaloux de te revoir,
Jamais antique bois où tu reviens asseoir,
Milly, ses sept tilleuls ; Saint-Point, ses deux collines,
N’ont envahi ton cœur de tant d’odeurs divines,
Amassé pour ton front plus d’ombrage, et paré
De plus de nids joyeux ton sentier préféré !

Et dans ton sein coulait cette harmonie humaine,
Sans laisser d’autre ivresse à ta lèvre sereine
Qu’un sourire suave, à peine s’imprimant ;
Ton œil étincelait sans éblouissement,
Et ta voix mâle, sobre et jamais débordée,
Dans sa vibration marquait mieux chaque idée !

Puis, comme l’homme aussi se trouve au fond de tout,
Tu ressentais parfois plénitude et dégoût.