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LES CONSOLATIONS.

Quand un soleil oblique y prolonge ses feux,
Tout ce voile enrichi ne présente à tes yeux
Que l’hiver, — l’hiver morne, aride. En ta pensée
Se dresse tout d’abord son image glacée :
Tu vois d’avance au loin les bois découronnés,
Dans chaque arbre un squelette aux longs bras décharnés ;
Plus de fleurs dont l’éclat au jour s’épanouisse ;
Plus d’amoureux oiseaux dont le chant réjouisse ;
La Nature au linceul épand un vaste effroi. —
Pour toi quand tout est mort, Ami, tout vit pour moi :
Ce déclin que l’Automne étale avec richesse
Me parle, à moi, d’un temps de fête et d’allégresse,
Du meilleur de nos jours, — alors qu’heureux enfants,
Sur les bancs de la classe, en nos vœux innocents,
Les feuilles qui tombaient ne nous disaient encore
Que le très-doux Noël et sa prochaine aurore.
Pour tout calendrier j’avais ma marque en bois ;
Et, comptant les jours recomptés tant de fois,
Vite, chaque matin, j’y rayais la journée,
Impatient d’atteindre à l’aube fortunée, —
Pour toi, dans ses douceurs la mourante saison
N’est qu’un affreux emblème, et le dernier gazon
Te rappelle celui de la tombe certaine,
Durant ce long hiver où va la race humaine,
Tu vois l’homme écrasé, débile, se traînant
Sous le faix, et pourtant à vivre s’acharnant ;
Car cette vie est tout. Pour moi, ces douces pentes
Me peignent le retour des natures contentes,
L’heureux soir de la vie, — un esprit calme et sûr
Qui, pour la fin des ans, réserve un fruit plus mûr ;
Dans un œil languissant je crois voir l’étincelle,
Un céleste rayon d’espérance fidèle,
La jeunesse du cœur et la paix du vieillard. —
Tout, pour toi, dans ce monde est ténèbres, hasard :