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JUGEMENTS ET TÉMOIGNAGES.

temps en temps trainant et pénible. Le sentiment restant toujours un peu vague, l’expression en effet n’en saurait être parfaitement précise. La période va donc s’allongeant et s’étendant sans mesure. En un mot, c’est avec quelque effort que la pensée se dégage et se produit au dehors, ce qui nous paraît tenir surtout à la pensée elle-même. Nous ne disons pourtant pas que la difficulté ne peut être plus heureusement surmontée. M. Sainte-Beuve (il le reconnaît quelque part lui-même) n’est pas encore parfaitement maître de la langue poétique : il faut, pour la dompter, qu’il lutte et se débatte ; et la victoire quelquefois peut rester incomplète.

« En résumé, en France, où nous avons si peu de poésie personnelle, M. Sainte-Beuve est, nous le croyons, appelé à tenir un haut rang. Il est, d’ailleurs, ce que ne sont pas tous les poëtes, un penseur et un homme d’esprit. Qu’on ne cherche en lui ni vif intérêt dramatique, ni morceaux de bruit et d’éclat ; le bruit dérangerait ses rêveries, l’éclat conviendrait mal à ses habitudes craintives et simples. Nous avons entendu reprocher à M. Sainte-Beuve d’avoir imité M. Victor Hugo ; pour nous, à quelques prétentions de style près, nous ne connaissons pas deux poëtes plus dissemblables. M. Hugo est surtout un poëte d’imagination, M. Sainte-Beuve un poëte de pensée. C’est par l’image que le premier arrive presque toujours au sentiment ; par le sentiment, que le second arrive à l’image. Nous pourrions pousser plus loin ce parallèle ; mais cet article est déjà trop long. Répétons donc en terminant que de Joseph Delorme aux Consolations il y a progrès très-notable. Nous avons la confiance que l’auteur ne s’arrêtera pas là.

« O. (Duvergier De Hauranne.) »


Tous les journaux ne me furent pas aussi favorables : Le National, par la plume de M. Louis Peisse, se montra d’un classicisme rigoureux. Je ne reproduis pas (ce serait trop d’humilité), mais je signale aux lecteurs qui aiment la contradiction cet article d’un esprit exact, sobre et un peu chagrin (28 mars 1830). Armand Carrel lui-même, que je connaissais peu alors, voulut bien, à la fin d’une série d’articles sur Hernani (29 mars 1830), déplorer avec politesse mon égarement : « On ne peut, disait-il en terminant, attaquer par trop d’endroits à la fois une production pareille, quand on voit, par la préface des Consolations, la