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PENSÉES D’AOÛT.

À ses frères en faute il se voyait en aide,
Et contait, le matin, son projet avancé
À celle qui sera madame de Cicé,
Bien jeune fille alors, de cinq ans moins âgée
Que lui, mais qu’il aimait d’amitié partagée.
Et, de neuf à treize ans, les deux petits amis,
Sur l’erreur à combattre et sur les biens promis,
Sur l’homme et son naufrage, et le saint port qui brille,
S’en allaient deviser le long de la charmille,
Répandant de leur âme en ces graves sujets
Plus de chants que l’oiseau, plus d’or que les genêts,
Tout ce qu’a le printemps d’exhalaisons divines
Et de blancheur de neige aux bouquets des épines ;
Et saint François de Sale, écoutant par hasard
Derrière la charmille, en aurait pris sa part[1].

Pour le jeune habitant à qui tout intéresse,
Ainsi de jour en jour, au château, la tendresse
Augmentait de douceur. Pourtant l’âge arrivait ;
La puberté brillante apportait son duvet :
Et, sans un juste emploi dans la saison féconde,
Trop d’âme allait courir en sève vagabonde.
La Présidente aussi, d’un soin plus évident,
Avait le cœur chargé. Souvent le regardant
Avec triste sourire et sérieux silence,
Elle semblait rêver à quelque ressemblance,
Et jusqu’au fond de l’œil et dans le fin des traits
Chercher une réponse à des effrois secrets.
Bien que bleu, cet œil vif et petit étincelle ;
Cette bouche fermée est comme un sceau qu’on scelle ;

  1. J’ai voulu, dans ce passage, exprimer toute la fleur de poésie compatible avec les dogmes rigoureux de Port-Royal, en allant jusqu’à la limite où saint François de Sales y touche. — Pour l’intelligence complète, ne pas séparer cette lecture de celle du tome premier de Port- Royal, et même de celle de tout l’ouvrage.