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PENSÉES D’AOÛT.

L’autre, en poussant trop haut jusqu’au char du tonnerre,
S’est dans l’âme allumé quelque rêve étouffant.
L’un s’est creusé, lui seul, son mal imaginaire ;…
L’autre n’a plus d’enfant !

Chacun vite a trouvé son écart ou son piège ;
Chacun a sa blessure et son secret ennui,
Et l’Ange a replié la bannière de neige
Qui dans l’aube avait lui.

Et maintenant, un soir, si le hasard rassemble
Quelques amis encor du groupe dispersé,
Qui donc reconnaîtrait ce que de loin il semble,
Sur la foi du passé ?

Plus de concerts en chœur, d’expansive espérance,
Plus d’enivrants regards ! la main glace la main.
Est-ce oubli l’un de l’autre et froide indifférence,
Envie, orgueil humain ?

Oh ! c’est surtout fatigue et ride intérieure,
Et sentiment d’un joug difficile à tirer.
Chacun s’en revient seul, rouvre son mal et pleure,
Heureux s’il peut pleurer !

Ils cachent tous ainsi leurs blessures au foie,
Trop sensibles mortels, éclos des mêmes feux !
Plus jeune, on se disait les chagrins et la joie ;
Plus tard on se tait mieux.

On se tait même auprès du souvenir qui charme ;
On doit paraître ingrat, car on le fuit souvent.
Contre l’émotion qui réveille une larme
À tort on se défend.