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PENSÉES D’AOÛT.

De votre enfant ; c’est mal. Le gain vous tente : eh bien !
Je vous l’achète double, et pour n’en couper rien.
Mais il faut m’amener l’enfant chaque semaine :
Chaque fois un à-compte, et la somme est certaine » —
Qui fut sot ? mon barbier. Il sourit d’un air fin,
Croyant avoir surpris quelque profond dessein.
La mère fut exacte à la chose entendue :
Elle amenait l’enfant, et je payais à vue.
Puis, lorsqu’elle eut compris que pour motif secret
Je n’avais, après tout, qu’un honnête intérêt,
Elle me l’envoya seule ; et l’enfant timide
Entrait, me regardait de son grand œil humide,
Puis sortait emportant la pièce dans sa main.
À force toutefois de savoir le chemin,
Elle s’apprivoisa : — comme un oiseau volage,
Que le premier automne a privé du feuillage,
Et qui, timidement laissant les vastes bois,
Se hasarde au rebord des fenêtres des toits ;
Si quelque jeune fille, âme compatissante,
Lui jette de son pain la miette finissante,
Il vient chaque matin, d’abord humble et tremblant,
Fuyant dès qu’on fait signe, et bientôt revolant ;
Puis l’hiver l’enhardit, et l’heure accoutumée :
Il va jusqu’à frapper à la vitre fermée ;
Ce que le cœur lui garde, il le sait, il y croit ;
Son aile s’enfle d’aise, il est là sur son toit :
Et si, quand février d’un rayon se colore,
La fenêtre entr’ouverte et sans lilas encore
Essaie un pot de fleurs au soleil exposé,
Il entre en se jouant, innocent et rusé ;
Il vole tout d’abord à l’hôtesse connue,
En sons vifs et légers lui rend la bienvenue,
Et becquète son doigt ou ses cheveux flottants,
Comme un gai messager des bonheurs du printemps