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DE JOSEPH DELORME


Qu’importe que pour ma nacelle
Ne batte aucun cœur virginal ?
Qu’aucune main chère et fidèle
Au haut du phare qui m’appelle
N’attache en tremblant le fanal ?

Qu’un soir, où ma voile attendue
N’aura point blanchi sur les flots,
Jamais une amante éperdue,
Près de mon cadavre étendue,
Ne le soulève avec sanglots ;

Et puis de sa tête baissée
Tirant son long voile de deuil,
N’en couvre ma tête glacée,
Et longtemps baisée et pressée
Ne la pose dans le cercueil ?

Qu’importe ? il faut rompre le câble ;
Il faut voguer, voguer toujours,
Ramer d’un bras infatigable,
Comme vers un port secourable,
Vers le gouffre où tombent nos jours ;

Où s’abîment tristesse et joie,
Amer et riant souvenir ;
Où, paré de crêpe et de soie,
Notre mât s’agite, tournoie
Et s’engloutit sans revenir.

Adieu donc, ô grève chérie !
Un instant encore, et je pars ;
Adieu plage toujours meurtrie
Des flots et des vents en furie,
Désert si doux à mes regards !