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NOTES ET SONNETS.

Qu’il m’est doux une fois de posséder plus près,
Aux lieux mèmes chantés sur les lyres humaines,
Dans le temple des bois, des monts et des fontaines ?
Oui, certes, tout cela, nature, art et passé :
J’aime ces grands objets ; mon cœur souvent lassé
Se sent repris vers eux de tristesse secrète.
Mais est-ce bien là tout ? est-ce ton vœu, poëte ?
Autrefois, sur la terre, à chaque lieu nouveau,
Comme un trésor promis, comme un fruit au rameau,
Je cherchais le bonheur. À toute ombre fleurie,
Au moindre seuil riant de blanche métairie,
Je disais : Il est là ! Les châteaux, les palais,
Me paraissaient l’offrir autant que les chalets :
Les parcs me le montraient au travers de leurs grilles ;
Je perçais, pour le voir, l’épaisseur des charmilles,
Et, dans l’illusion de mon rêve obstiné,
Je me disais le seul, le seul infortuné.
Aujourd’hui, qu’est-ce encor ? quand ce bonheur suprême,
L’Amour (car c’était lui), m’ayant atteint moi-même,
S’est enfui, quand déjà le souvenir glacé
Parcourt d’un long regard le rapide passé,
Quand l’avenir n’est plus, plus même le prestige,
Le doux semblant au cœur d’un piège qui l’oblige,
Je vais comme autrefois, et dans des lieux plus grands,
Et plus hauts en beautés, perdant mes pas errants,
Je cherche… quoi ? ces lieux ? leur calme qui pénètre ?
L’art qui console ?… oh ! non… moins que jamais peut-être ;
Mais au fond, mais encor ce bonheur défendu,
Et le rêve toujours quand l’espoir est perdu !