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POÉSIES


Cela vaut-il ce que je laisse,
Tant de silence, et tant d’oubli ;
Et ce gazon où la tristesse,
De mon âme éternelle hôtesse,
Inclinait un front recueilli ;

Alors que mon mât de misaine,
De la hache ignorant les coups,
Dans les grands bois était un chêne,
Et qu’au bruit de l’onde prochaine
Tout le jour je rêvais dessous ?

Oh ! j’y versai plus d’une larme ;
Mais les larmes ont leur douceur ;
Mais la tristesse a bien son charme ;
Son front à la fin se désarme,
Et c’est pour nous comme une sœur.

Point de crainte alors ; sous la branche
Point d’œil profane ; et si parfois
D’un lac frais la surface blanche,
Où d’en haut la lune se penche,
M’arrachait au gazon des bois ;

Si dans une barque d’écorce,
Ou de glaïeul, ou de roseau,
Ou de liane trois fois torse,
À ramer j’essayais ma force
Comme dans l’air un jeune oiseau ;

Nul bruit curieux sur la rive
Ne troublait mon timide essor,
Sinon quelque nymphe furtive ;
Mon âme n’était plus oisive,
Et c’était du repos encor.