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DE JOSEPH DELORME

Comme en buvant son sorbet la sultane ;
Chaulieu m’endort à l’ombre d’un platane ;
Vite au réveil je relis le Mondain.
Je relis tout ; et bouquets à Climène
Et Corilas entretenant Ismène,
Et l’Aminta chantant son inhumaine ;
Mais la Chartreuse est surtout à mon gré ;
Et, mieux refait, la troisième semaine,
Je puis aller jusqu’à Goldsmith et Gray.
Dès lors la Muse a repris sa puissance,
Et mon génie entre en convalescence.

Car si, le soir, sous un jasmin en fleurs,
Édouard en main, je songe à Nathalie,
Et que bientôt un nuage de pleurs
Voile à mes yeux la page que j’oublie ;
Car de Tastu si le luth adoré,
Au bruit d’une eau, sous un saule éploré,
Me fait rêver à la feuille qui tombe,
Et que non loin gémisse une colombe ;
Si sur ma lèvre un murmure sacré,
Comme un doux chant d’abeille qui butine,
Trois fois ramène un vers de Lamartine,
Et qu’en mon cœur une corde ait vibré ;
Oh ! c’en est fait ; après tant de silence
Je veux chanter à mon tour ; je m’élance,
Les yeux au ciel et les ailes au vent,
Et me voilà rimeur comme devant.