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APPENDICE.

« Il y avoit eu des temps où un billet écrit de ce style auroit causé quelque agitation dans l’âme de madame de Chavigny ; mais elle le reçut avec une tranquillité merveilleuse et lui répondit ainsi :
« Je vous rends mille grâces de vous donner tant de peines que j’espère « qui finiront demain avec les miennes pour cette affaire, allant faire travailler mes docteurs à l’emploi de l’argent duquel je me décharge tout à fait sur eux, ne désirant rien que d’en sortir et que ce que l’on a résolu soit exécuté avec toute la circonspection qui se peut. »
« Madame du Plessis fut un peu surprise d’une résolution si ferme après tant de longues et pénibles consultations, et elle en donna avis le 16 du même mois à M. d’Andilly par ces deux lignes :
« Je vous envoie la réponse de madame de Chavigny. Le billet que nous lui avons écrit ne la met pas beaucoup en peine, comme vous le verrez par le sien. »
« Voilà la Relation que M. de Bagnols a dressée lui-même et dont il a fait comme une espèce de journal. Elle ne va pas plus avant ; mais on en voit assez, dans la simple exposition de ces faits si importants, pour faire voir à toute la postérité que ceux qui ont pris occasion de cette affaire pour calomnier la conduite de Port-Royal ne dévoient avoir que du respect pour les personnes de cette maison qui y ont eu quelque part, puisqu'on ne leur peut reprocher qu'une fidélité inébranlable pour conserver le plus grand et le plus sacré de tous les secrets, une sagesse très-solide et très-éclairée à traiter avec tant de précaution une chose si délicate dans laquelle les Grands du monde vouloient entrer pour en prendre connoissance, une force merveilleuse pour résister à toutes les sollicitations et à tous les vains accommodements de l’esprit du siècle, et un parfait désintéressement pour ne considérer dans tout ce qui s’y est passé que la seule gloire de Dieu, l’édification du prochain, les maximes de la justice et les règles de la conscience. On a cru devoir faire entrer dans le corps de l’histoire de l’Église cet événement que l’on peut dire des plus fameux de notre siècle dans ce genre de direction, afin que ceux qui le liront après nous reconnoissent que, dans un temps où les plus célèbres directeurs et les plus austères religieux laissent dorer ou enrichir leurs chapelles pour recevoir comme le prix de leur lâche complaisance, il y avoit encore dans Paris des ecclésiastiques assez éclairés, et des directeurs assez désintéressés pour ne pas faire dépendre de la considération des familles les plus illustres l’exécution des règles les plus inviolables de l’Évangile. »

Tel est, de point en point, l’exposé véridique de cette affaire par Port-Royal. C’est (sous la plume de M. Hermant) M. Du Gué de Bagnols que l’on vient d'entendre. Quand un honnête homme de ce calibre a parlé, le Père Rapin, honnête selon le monde, est bien mince et bien chétif : il représente la conscience facile et intéressée de madame de Chavigny. Il aurait dû être son confesseur ; il en était digne. Pour nous, il nous suffira, sur quelques points essentiels, de trois ou quatre réfutations de cette force pour faire apprécier quelle est la moralité du livre de ce Père et quelle confiance il mérite, lui et ses annotateurs. Tallemant des Réaux en mérite mille fois plus : il n’y a même pas de comparaison ; car s’il est également médisant, il l’est sans haine, sans parti pris,