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PORT-ROYAL

l’abbé de Morimond et par la surveillante, madame de Jumeauville, exigea qu’aux vendanges prochaines sa fille le vînt voir à sa maison d’Andilly. Il la trouva dépérissant de santé et en proie à une mélancolie opiniâtre. Il s’éleva contre l’intrusion des Pères Capucins dans son monastère ; lui dit que ces gens-là ne voulaient que se faire de son abbaye une bonne ferme à leur bénéfice, et déclara s’opposer expressément à ces réformes sans frein. De telles luttes nouvelles, que la tendresse du sang rendait si sensibles, achevèrent de troubler la jeune Angélique, et redoublèrent une fièvre quarte qui la minait. Ces beaux ombrages d’Andilly, qu’elle avait tant aimés lors de l’année de sa première maladie, et sous lesquels elle s’étonnait qu’on ne voulût pas toujours vivre quand on les possédait, jaunissaient cette fois sans charme à ses yeux et ne l’attachaient plus. Elle revint le 18 octobre à son monastère, plus triste et plus brisée que jamais, résolue de servir Dieu, et pourtant ne voulant rien entreprendre contre le gré de son père ; non pas vaincue, mais toute désarmée.

Le second coup de la Grâce, qui inclina décidément sa volonté, frappa moins de quinze jours après son retour. Le jour de la Toussaint, en effet … — Mais, à propos de cette oeuvre dite de la Grâce, et sur les singularités qu’elle nous offre ici, quelques réflexions et précautions explicatives sont nécessaires. Nous touchons dès le début au cœur de notre sujet, à la clef même de la foi de Port-Royal.

Et d’abord, au point de vue purement humain, à ceux qui ne verraient dans l’opération dite de la Grâce qu’un phénomène psychologique particulier, qu’un état, une passion par moment régnante de l’âme humaine, à ceux-là le phénomène devrait encore paraître assez extraordinaire du moins, assez éminent et assez rare,