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PORT-ROYAL

et théologienne à la fois, dont il avait comme transporté au théâtre l’entière vigueur. Nous pouvons mettre à cette indication juste, et sans sortir de notre cadre, des noms plus précis. M. Arnauld du Fort, tel que nous l’avons aperçu à La Rochelle, n’est-il pas un héros de la trempe et vraiment du calibre de ceux de Corneille ? de même Zamet, l'ami de d’Andilly, qui nous le peint comme un Cid dans ses Mémoires. Le vieux Pontis, quand nous le connaîtrons, ne nous paraîtra-t-il pas un de ces centurions à rides austères, obscurément fidèles à la fortune de Sertorius ou de Pompée ?

Si Corneille ne connaissait pas directement tous ces hommes, il en avait ouï parler, ou il en connaissait d’autres pareils, équivalents, ou mieux encore il était collatéralement de la même portée ; et, comme il arrive en ce cas, il les sentait, les retrouvait et les créait sans effort en lui.

Lorsque de 1639 à 1640, au sortir du double triomphe d’Horace et de Cinna, Corneille fit Polyeucte, Port-Royal et son œuvre étaient déjà manifestes, dans leur premier et plein éclat. Dès 1637, la retraite de M. Le Maître, qui s’était arraché du barreau et de la carrière des hautes charges pour se faire solitaire, avait tourné de ce côté tous les yeux ; la prison de M. de Saint-Cyran, enfermé à Vincennes depuis 1638, tenait les esprits attentifs. La Cour, la ville et la province étaient pleines de personnes qui s’enquéraient de l’œuvre à moitié mystérieuse de ce monastère déjà menacé, et qui en discouraient en divers sens. La doctrine de la Grâce que relevait Port-Royal allait se divulguant : il devient évident par Polyeucte qu’elle circula jusqu’à Corneille.

Le Cid avait été suivi pour lui d’un temps de repos ; mais, depuis 1639, les chefs-d’œuvre reprenaient, se succédaient coup sur coup dans sa carrière ; presque trois en une seule année. Il était dans la force de l’âge