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LIVRE PREMIER

Néarque à l’encontre des faux Dieux. Néarque ne pense qu’à s’abstenir et à garder le logis, il est le raisonnable : Polyeucte veut attaquer et courir, il est le sublime imprudent :

NÉARQUE.

Fuyez donc leurs autels.

POLYEUCTE.

Je les veux renverser
Et mourir dans leur temple, ou les y terrasser.

Et encore :

NÉARQUE.

Vous sortez du baptême, et ce qui vous anime
C’est sa Grâce qu’en vous n’affaiblit aucun crime ;
Comme encor tout entière, elle agit pleinement,
Et tout semble possible à son feu véhément :
Mais cette même Grâce en moi diminuée,
Et par mille péchés sans cesse exténuée,
Agit aux grands effets avec tant de langueur,
Que tout semble impossible à son peu de vigueur..,.

Corneille, il est vrai, attribue, on le voit, cette toute-puissance et ce miracle de la Grâce en Polyeucte à l’effet direct du baptême, au sacrement qui lui a été conféré, plutôt qu’à une influence singulière et plus invisible, venue sans cet appareil extérieur dans un cœur déjà baptisé. Mais c’eût été trop demander que de vouloir de lui une telle manière d’entendre et de représenter la Grâce, surtout au théâtre, par une infusion toute secrète, toute gratuite : l’acte du baptême, au contraire, était une cause suffisante et manifeste, un signe expressif et intelligible à tous de cette opération intérieure sur laquelle il fondait la conduite et le saint exploit de Polyeucte.

Le grand, le sublime de la pièce de Corneille redouble, éclate au quatrième acte, au moment où Polyeucte dans la prison attend Pauline et fait demander Sévère.