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LIVRE PREMIER

comme de ses mains défaillantes. Elle faisait recommander à son fils le grand Docteur, pour unique adieu, qu’il ne se relâchât jamais dans la défense de la Vérité. Dans son agonie, on l’entendit plus d’une fois murmurer ces mots avec ardeur : «Mon Dieu, tirez-moi à vous !» ou encore : «Que vos tabernacles sont aimables !» — Ame vraiment solide et bâtie sur la pierre, a dit M. de Saint-Cyran ; âme d’autant plus à estimer qu’il ne paraissait rien en elle de ces brillements qui flattent les sens des hommes !

Je ne sais si je m’abuse, mais il me semble que, sans autre commentaire, une telle conclusion de la journée du Guichet est aussi mémorable, aussi éloquente à sa manière, aussi pathétique et idéalement sublime que le dénouement même de Polyeucte[1]. Ces conversions, coup sur coup, de Pauline, de Félix, peut-être un jour de Sévère, ne sont pas plus merveilleuses et plus enlevantes pour le spectateur (celle de Félix ne l’est même pas du tout) que ce que nous voyons s’accomplir ici dans l’ombre et sans applaudissements.

Car se figure-t-on bien, non pas aux jours solennels, mais à chaque jour, à chaque heure monotone de cette vie contrite et recueillie, tout ce qui devait sortir, émaner en amour, en prière, en élancements, et déborder, s’effectuer au dehors, en aumône, en bienfaisance, en

  1. Si l'on ne craignait de paraître trop pousser un rapprochement qui subsiste et suffit dans l’essentiel, on parlerait d’un songe ; car la mère Angélique eut le sien, ainsi que Pauline, et, comme il lui arrivait souvent de penser plus particulièrement à M. d’Andilly et à madame Le Maître, les seuls de ses frères et sœurs qui fussent tout à fait engagés dans le monde, elle crut les voir une nuit en songe, qui, montés tous deux sur un même cheval, venaient, le visage triste et abattu, chercher asile près d’elle à Port-Royal. Elle s’expliqua cela plus tard par leur sainte retraite, lorsque tous deux, veufs et tristes selon le monde, vinrent chercher vers le cloître l’éternelle joie.